Les déclarations récentes de son Président sur un état de droit sous la sauvegarde du juge au motif que « la démocratie ne saurait être réduite à la seule volonté majoritaire des électeurs et des élus »,
ont provoqué des réactions dans la classe politique. La nomination de
Monsieur Richard Ferrand, ancien Président de l’Assemblée nationale
(mais comme l’étaient ses deux prédécesseurs) a suscité de sévères
objections. Tous ces débats témoignent de la place centrale du Conseil
constitutionnel dans l’équilibre institutionnel français. Explications
par Noëlle Lenoir, avocate à la Cour, membre honoraire du Conseil
constitutionnel et Jean-Claude Magendie, Premier président honoraire de
la Cour d’appel de Paris.
Cette constatation sera amplement vérifiée avant la fin du mois de
mars de la présente année 2025 lorsque le Conseil délibérera sur la
question prioritaire de constitutionnalité (QPC) que lui a renvoyée le
Conseil d’Etat le 27 décembre 2024[1].
Cette QPC porte sur les dispositions combinées du code électoral sur
l’inéligibilité des élus condamnés par la juridiction pénale pour
atteinte à la probité et de l’alinéa 4 de l’article 471 du code de
procédure pénale ouvrant la possibilité d’assortir cette peine
d’éligibilité d’une exécution provisoire. Là où le bât blesse, c’est que
la démission d’office de l’élu découlant de cette exécution provisoire a
pour effet de le priver de facto de son droit au recours
(appel et cassation). Elle est ainsi susceptible de l’écarter pour un
temps plus ou moins long de la vie politique, alors même que le juge
d’appel et de cassation réviserait ou annulerait la sanction
ultérieurement.  Â
La QPC transmise au Conseil constitutionnel concerne un élu local de
Mayotte. Toutefois, après les réquisitions du parquet de Paris en faveur
d’une inéligibilité assortie d’exécution provisoire à l’encontre de
Madame Marine Le Pen et d’autres responsables politiques - anciens
parlementaires européens et  anciens collaborateurs de ces
parlementaires -, chacun comprend que la décision du Conseil
constitutionnel aura un impact majeur sur les élections présidentielles
de 2027.
Il est évident que le Conseil constitutionnel ne pourra que tenir
compte du fossé qui existe entre sa propre jurisprudence, s’agissant des
députés et sénateurs dont il contrôle la régularité de l’élection, et
la jurisprudence judiciaire et administrative.
Les juges judiciaires ne trouvent en effet rien à redire à la
difficulté posée par la privation du droit au recours de professionnels
ou d’élus condamnés dans des affaires d’atteinte à la probité. A
plusieurs reprises, la chambre criminelle de la Cour de cassation a
rejeté toute demande de transmettre une QPC au Conseil constitutionnel.
Dans un arrêt du 23 août 2017[2],
la Cour a estimé que la possibilité de prononcer l’exécution provisoire
de l’interdiction d’exercice d’un expert-comptable sur la base de
l’alinéa 4 l’article 471 du code de procédure pénale « répond à l’objectif d’intérêt général visant à favoriser l’exécution de la peine et à prévenir la récidive » et que « le
caractère non suspensif du recours, lorsque l’exécution provisoire a
été ordonnée, assure une juste conciliation entre cet objectif et celui Ã
valeur constitutionnelle de bonne administration de la justice ».
Quand on sait le caractère particulièrement vague de l’objectif de
valeur constitutionnelle de « bonne administration de la justice »[3] qui couvre l’ensemble du fonctionnement de la Justice.
Les motifs retenus par la chambre criminelle de la Cour de cassation, dans un arrêt du 18 décembre 2024[4]
pour rejeter la demande de transmission d’une QPC par Monsieur Hubert
Falco, ancien président du conseil départemental du Var, ne sont pas non
plus sans susciter des interrogations. Outre le rappel de la motivation
de l’arrêt du 23 août 2017 ci-dessus mentionné, la Cour souligne que « l’exécution
provisoire d’une peine d’inéligibilité ne peut être ordonnée par le
juge pénal qu’à la suite d’un débat contradictoire au cours duquel la
personne prévenue peut présenter ses moyens de défense et faire valoir
sa situation ». Mais on ne voit pas en quoi, le respect du
contradictoire dont la violation est de nature à entacher toute décision
de justice, justifierait le prononcé d’une exécution provisoire privant
l’élu condamné de son droit à un recours effectif. Â
En outre, pour la Cour, « à supposer que les dispositions contestées portent atteinte à la séparation des pouvoirs », pour autant, celles-ci ne portent pas « une atteinte disproportionnée à la libre administration des collectivités locales ».
La Cour de cassation reconnaît que la remise en cause de l’élection
d’un représentant du peuple peut porter atteinte au principe de la
séparation des pouvoirs, mais sans en tirer toutes les conséquences du
fait du respect du principe de libre administration des collectivités
locales. Le Conseil constitutionnel a censuré une disposition pour
violation de ce principe par une décision du 16 mai 2013[5]
que parce que cette disposition pouvait conduire à une vacance de
plusieurs sièges de l’assemblée départementale pendant toute la durée du
mandat. Toutefois, l’enjeu de l’exécution provisoire d’une peine
d’inéligibilité n’est pas là . Il est dans l’atteinte au droit au
recours, et non dans l’éventualité de la vacance du siège de l’élu
démissionnaire pendant un certain temps. Â
Jusqu’à sa décision précitée de décembre 2024 de renvoyer une QPC au
Conseil constitutionnel, le Conseil d’Etat ne formulait pas davantage
d’objections à la situation créée par l’exécution provisoire d’une peine
d’inéligibilité. Certains rapporteurs publics avaient exprimé des
doutes à cet égard, par exemple dans l’affaire ayant donné lieu à un
arrêt du 20 juin 2012[6].
Dans ses conclusions dans cette affaire proposant de refuser de
transmettre une QPC au Conseil constitutionnel, le rapporteur public
s’était montré conscient des « difficultés d’application que la solution proposée est susceptible d’entraîner » tout en faisant remarquer « qu’il
appartient au premier chef au juge pénal, lorsqu’il exerce la faculté
de prononcer l’exécution provisoire d’une peine, d’en mesurer toutes les
conséquences… ».
La jurisprudence administrative continuait donc de conférer Ã
l’exécution provisoire ses implacables conséquences. Ainsi, aux termes
de l’arrêt du Conseil d’Etat du 20 décembre 2019[7], « la
circonstance que la cour d’appel (…) a confirmé la peine d’éligibilité
sans l’assortir de l’exécution provisoire est, en tout état de cause,
sans incidence sur la légalité de l’arrêté attaqué [déclarant la démission d’office de l’élu], dès
lors que l’effet suspensif du pourvoi en cassation formé par M.A…
contre cet arrêt a entraîné le maintien de l’exécution provisoire
ordonnée en première instance ». Cette fois-ci, l’effet suspensif du recours se retournait contre l’intéressé ! Â
Le Conseil constitutionnel ne suit pas, s’agissant des parlementaires
nationaux, la voie de la jurisprudence administrative et judiciaire.
Dans sa décision du 22 octobre 2009[8]
concernant Gaston Flosse, ancien président de la Polynésie française,
dont le juge avait déclaré l’inéligibilité assortie d’une exécution
provisoire, il a fait valoir que, du fait d’un pourvoi en cassation, la
déchéance de l’intéressé ne pouvait être constatée, celle-ci étant
subordonnée à l’intervention d’une condamnation définitive.
La décision est courte, mais claire. Elle s’inscrit dans une ligne de
précédents remontant à une décision n°60-1 D du 12 mai 1960 constatant
la déchéance d’un député polynésien « du fait de l’inéligibilité résultant de la condamnation pour crime définitivement prononcée à son encontre ».
Dans l’affaire concernant Monsieur Jean-Noël Guerini, ancien
président du Conseil général des Bouches-du-Rhône, le Conseil
constitutionnel dans sa décision n° 2021-26 D du 23 novembre 2021 a
ainsi décidé que « En l’absence de condamnation définitive, la
requête du garde des sceaux, ministre de la justice, tendant à la
constatation de la déchéance de plein droit de M. Jean-Noël GUÉRINI de
sa qualité de membre du Sénat est irrecevable et doit être rejetée ». Le même considérant est repris dans la décision n°2022-27 D du 16 juin 2022 concernant un député.
Implicitement, mais nécessairement, le Conseil constitutionnel
s’appuie dans toutes ces affaires sur le droit à un recours effectif Ã
un juge, droit fondé sur l’article 16 de la Déclaration des droits de
l’homme et du citoyen de 1789 selon lequel « toute société dans
laquelle la garantie des droits n’est pas assurée, ni la séparation des
pouvoirs déterminée, n’a point de Constitution ».
Logiquement, eu égard à la gravité de ses conséquences sur le droit
de vote et d’éligibilité, l’exécution provisoire de l’inéligibilité
comme peine complémentaire de la sanction pénale d’un élu apparaît
constituer une atteinte « substantielle » au droit au recours,
par là même inconstitutionnelle comme disproportionnée, sauf à en
préciser dans la loi de façon stricte les conditions. Â
Dans le cadre de la procédure pénale, l’exécution provisoire d’une
sanction doit avoir pour objectif d’intérêt général avant tout la
sauvegarde de la sécurité des citoyens quand par exemple un accusé
comparaissant libre et condamné à une peine d’emprisonnement doit être
immédiatement incarcéré s’il apparaît dangereux afin d’éviter la
récidive. Dans une décision du 7 janvier 2022[9],
par laquelle il a censuré les dispositions du code de procédure pénale
privant de recours juridictionnel les personnes se voyant opposer un
refus d’exécuter leurs condamnations à l’étranger sur le territoire
français, le Conseil a en ce sens pris en compte « les conséquences qu’est susceptible d’entraîner pour ces personnes une telle décision » de refus.
De la même manière, les conséquences d’une inéligibilité à effet
immédiat et irrémédiable dans le temps long ne peuvent pas ne pas être
prises en considération dans l’appréciation de la constitutionnalité du
système instauré par les dispositions combinées du code électoral et de
l’article 471, alinéa 4 du code de procédure pénale actuellement Ã
l’examen du Conseil constitutionnel.
Sans entrer dans le détail des autres objections d’ordre
constitutionnel susceptibles d’être avancées au soutien de
l’inconstitutionnalité de ce système, il suffit de faire remarquer que
le principe d’égalité devant la justice est également en cause[10].
Car quelle distinction en effet peut être faite entre justiciables, au
regard de leur droit d’accès à la justice, selon que le mandat des élus
concernés est national, local ou européen ?
Depuis ces dernières décennies, à chaque scandale financier ainsi
qu’après les élections présidentielles, une loi est votée pour montrer Ã
l’électorat combien est entière la volonté des pouvoirs publics de
n’admettre aucun écart de probité dans la sphère politique[11].
Ce souci d’exemplarité est éminemment louable car nul ne doute que la
corruption est un poison mortel pour le démocratie. Ceci n’empêche pas
certaines erreurs d’appréciation du législateur quant à la portée réelle
des textes qu’il adopte.
C’est le cas des dispositions du code électoral et du code de
procédure pénale qui ont abouti à ce que l’on peut considérer comme la
privation contestable d’un droit au recours effectif au juge de
personnes dont tout porte à penser qu’elles ne constituent pas un danger
public ou qu’elles ne récidiveront pas durant la procédure en attente
de la décision définitive sur les faits leur étant reprochés.
Rappelons d’abord que c’est la loi « Sapin 2 » n° 2016-1691 du 9 décembre 2016 décembre[12]
qui a prévu de rendre obligatoire le prononcé de la peine
complémentaire d’inéligibilité pour certaines infractions d’atteinte Ã
la probité publique aux termes de l’article L.131-26, 2° du code
électoral. Lors des débats à l’Assemblée national, le député Olivier
Marleix s’était opposé à cette disposition au nom de l’individualisation
de la peine, rappelant que le gouvernement avait repoussé la
proposition d’instauration d’une peine complémentaire obligatoire pour
les pédophiles. La loi n° 2017-1339 du 15 septembre 2017 pour la
confiance dans la vie politique aurait pu revenir sur le caractère
obligatoire de la peine d’inéligibilité. Elle l’a conservée tout en
permettant au juge, pour éviter la censure du Conseil constitutionnel,
« d’écarter expressément le prononcé de cette peine en considération
des circonstances de l’infraction ou de la personnalité de son auteur » et ce «  par une décision spécialement motivée »[13].
Force est cependant de constater que la latitude laissée au juge
n’est pas véritablement utilisée et que dans la plupart des cas la peine
d’éligibilité est assortie d’une exécution provisoire.
Aussi, à titre de conclusion, deux remarques générales peuvent être formulées :
D’abord, nombre d’actions intentées contre des responsables
politiques ont une évidente connotation politique. C’est le cas en
particulier des poursuites pénales diligentées pour recours à des
« emplois fictifs » contre Jean Tibéri et Jacques Chirac, en tant
qu’anciens maires de Paris, contre François Fillon, comme ancien député
ou encore contre François Bayrou et Marine Le Pen, comme anciens
parlementaires européens. Or, ces affaires ont révélé une connaissance
insuffisante par les juridictions  des conditions de la vie politique,
ce qui justifierait d’intégrer cette problématique dans les programmes
de l’Ecole Nationale de la Magistrature. Â
Ensuite, l’exécution provisoire d’une peine, si elle n’est justifiée
par l’impératif de sécurité publique pour éviter la récidive, constitue
de plus en plus aux yeux de l’opinion publique une anomalie. Même
l’avocat du Parlement européen, à l’origine des poursuites contre Madame
Marine Le Pen, le signale dans une interview parue dans le Journal Info
du 15 novembre 2024. Dans cette interview, il se déclare « hostile par principe à l’exécution provisoire, car – indique-t-il- je crois qu’il faut laisser la possibilité aux personnes poursuivies et condamnées d’aller devant la cour d’appel »[14]. Et de laisser les politiques qui ne sont pas d’accord avec les réquisitions du parquet dans cette affaire « déposer une proposition de loi supprimant l’inéligibilité et/ou l’exécution provisoire ».  Â
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Noëlle Lenoir, avocate à la Cour, membre honoraire du Conseil constitutionnel
Jean-Claude Magendie, Premier président honoraire de la Cour d’appel de Paris
Â
[1] n°498271.
[2] n° 17-80.459.
[3] « Retour sur la notion de bonne administration de la justice » par Hélène Apchain, in AJDA, 2012, page 587.
[4] n° T 24-83.556 F-D
[5] n° 2013-667 DC.
[6] n° 356865.
[7] n° 432078.
[8] n° 2009-21S D.
[9] n° 2021-959 QPC.
[10] Voir pour une décision récente, la décision n° 2022-999 QPC du 17 juin 2022.
[11] Rapport public annuel remis par la déontologue de l’Assemblée nationale au Président et au Bureau, le 20 novembre 2013. https://www.vie-publique.fr/rapport/33643-rapport-public-annuel-remis-par-noelle-lenoir-deontologue-de-lassemble
[12] Loi relative à la transparence, à la lutte contre la corruption et à la modernisation de la vie économique.
[13]
Cette possibilité d’écarter la peine d’inéligibilité dans ces
conditions a conduit le Conseil constitutionnel a considérer que la
législateur n’avait pas méconnu le principe d’individualisation des
peines. Voir décisions n°2017-752 DC et 2017-753 DC du 8 septembre 2017.
[14] https://lejournal.info/article/patrick-maisonneuve-les-politiques-ne-sont-pas-contents-quils-changent-la-loi/
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