
Le principe suivant lequel, à défaut de vigilance avant l’acquisition, la responsabilité civile, mais aussi pénale, de l’acquéreur est pleinement reconnu.
Il est de jurisprudence établie qu’une entreprise peut être tenue responsable des pratiques anti-concurrentielles de la cible en cas de poursuites post-acquisition[1]. Plus récemment, la Cour de Justice de l’Union européenne a décidé que ce transfert de responsabilité valait, non plus seulement en droit répressif, mais sur le plan civil. Dans un arrêt du 14 mars 2019[2], la Cour a jugé que l’entreprise qui a acquis la cible est également tenue de verser des dommages et intérêts à raison de l’infraction commise, par exemple de compenser l’augmentation des prix réalisée du fait de la mise en place d’un cartel : « si des entreprises, responsable du dommage causé par une infraction aux règles de concurrence de l’Union européenne, pouvaient échapper à leur responsabilité par le simple fait que leur identité a été modifiée par suite de restructurations, de cessions ou d’autres changements juridiques ou organisationnels, l’objectif poursuivi par ce système ainsi que l’effet utile desdites règles [sur la réparation du préjudice causé par une infraction de concurrence], seraient compromis »[3], a souligné la Cour.
Ces mêmes principes sont applicables aux infractions boursières et aux dommages et intérêts dus en réparation du préjudice causé par celles-ci. Ainsi en ont décidé tant la Cour de cassation[4], que le Conseil d’Etat[5].
De manière générale, l’entreprise qui acquiert une société peut se voir tenue de réparer les dommages causés par la cible à raison des infractions commises par cette dernière[6]. Le dernier rempart existant, à savoir que l’acquéreur ne pouvait être tenu responsable pénalement des infractions commises par la société absorbée vient de tomber. En principe, la dissolution d’une personne est une cause d’extinction de l’action publique. Cela valait tant pour les personnes physiques que pour les personnes morales ; la société absorbante ayant fait perdre à la société absorbée son existence physique.
Depuis novembre 2020, cette construction juridique n’est plus un obstacle à la reconnaissance de la responsabilité pénale de l’acquéreur pour des infractions commises par la société absorbée. La Cour de cassation, dans un revirement de jurisprudence remarqué[7], estime en se fondant sur le droit de l’Union européenne en matière de fusion-acquisition que « le juge (…) peut, après avoir constaté que les faits objets des poursuites sont caractérisés, déclarer la société absorbante coupable de ces faits et la condamner à une peine d’amende ou de confiscation ». Lorsqu’il y a fraude à la loi, c’est-à-dire lorsque la fusion-absorption, a pour objectif de faire échapper la société absorbante à toute sanction pénale, alors le juge doit mettre en cause la responsabilité pénale de cette dernière.
Le message est clair : inutile d’essayer de fermer les yeux sur des soupçons d’infractions commises par la société absorbée ou a fortiori par la société avec laquelle on opère un rapprochement, ce « wilfull blindness » n’est en rien exonératoire. Le simple manque de vigilance à vérifier l’éventualité de pratiques répréhensibles de la cible, n’est pas davantage exonératoire que ce soit au pénal ou au civil.
Les bonnes pratiques à mettre en œuvre ou comment prévenir le risque qui pèse sur l’acquéreur de voir sa responsabilité engagée pour des faits commis par la cible ?
Le processus de fusion-acquisition d’une société comporte plusieurs phases qui doivent donner lieu à des due diligence de plus en plus poussées pour débusquer les risques que la cible peut faire courir « post-acquisition » à l’acquéreur. Conformément au guide pratique de l’Agence Française Anticorruption (AFA) paru en janvier 2020 sur « les vérifications anticorruption dans le cadre des fusions-acquisitions »[8], on ne peut que recommander de veiller aux risques « corruption » dès les démarches effectuées pour identifier une cible potentielle. A ce stade, la recherche « desktop » (sur l’ordinateur de bureau) à partir de sources ouvertes, notamment les sites Internet librement accessibles au public, doit déjà donner une indication, notamment des actions en cours ou du profil des dirigeants.
Une fois passé ce stade, l’accord de confidentialité entre l’acquéreur et le cédant doit permettre d’en savoir davantage. Outre la consultation des sites publics ou encore le recours à des watchlists, les questionnaires à transmettre aux cédants doivent être à la mesure des enjeux pour l’acquéreur, c’est-à-dire précis et détaillés. Les avocats qui assistent les entreprises savent qu’il ne faut pas hésiter dans ces questionnaires à poser des questions pouvant sembler inquisitoriales, par exemple sur les relations avec des tiers, notamment les intermédiaires, lobbysists, voire les fournisseurs et sous-traitants. Les programmes anticorruption, les pratiques de dons et parrainages, les conditions dans lesquelles certains services ou employés ont affaire avec des agents publics, par exemple sont des points d’attention obligés.
Les dispositifs d’alerte et les suites données aux signalement sont également à regarder de près, comme les programmes de formation et de sensibilisation à l’intention du personnel, notamment exerçant les fonctions « les plus exposées ». Une autre source d’information intéressante est constituée par les programmes annuels ou pluriannuels d’audits et certains rapports d’audit eux-mêmes.
De plus en plus souvent, outre le travail d’accès aux sources accessibles gratuitement ou non au public et l’envoi de questionnaires et de demandes de documents consultables dans la data room, il s’avère utile de prévoir des entretiens avec le cédant, voire même de pouvoir réaliser des audits.
Enfin, il ne sera jamais assez souligné qu’aujourd’hui, l’un des documents considérés comme l’indicateur par excellence de l’efficacité des politiques anticorruption est la cartographie des risques. Sa méthodologie, son adaptabilité à l’évolution des risques et de l’environnement de l’entreprise, la façon dont elle est prise en compte que ce soit pour élaborer les programmes d’audits internes, ou encore pour améliorer les politiques et procédures internes.
L’analyse des contrats est tout particulièrement d’intérêt notamment pour vérifier s’ils incluent une clause anticorruption pouvant permettre à l’entreprise de dégager sa responsabilité en cas déficience de son cocontractant dans la lutte contre la corruption[9].
Ces opérations de due diligence sont longues et coûteuses. Elles sont nécessairement aléatoires. Mais elles sont le prix à payer pour une sécurisation indispensable de tout acquéreur dont les avocats sont de plus en plus soucieux, dès lors que les poursuites pour pratiques corruptives peuvent se solder par des amendes vertigineuses.
[1] TPICE, 14 décembre 2006, Raiffeisen Zentralbank Österreich AG et autres c. Commission des Communautés européennes, aff. jts T-259/02 à T-264/02 et T-271/02 ; Autorité de la concurrence, Décision 12-D-26 du 20 décembre 2012 relative à des pratiques mises en œuvre dans le secteur de la production, de la commercialisation, de l’installation et de la maintenance des extincteurs.
[2] CJUE, 14 mars 2019, Vantaan kaupunki c. Skanska Industrial Solutions Oy et autres, aff. C-724/17.
[3] Ibid, para 46.
[4] Cass. Com., 21 janvier 2014, n° 12-29.166.
[5] CE, 17 décembre 2008, Société Oddo, n° 316000.
[6] Cass. Crim., 28 février 2017, n° 15-81.469.
[7] Cass. Crim., 25 novembre 2020, n° 18-86.955.
[8] AFA, Guide pratique, Les vérifications anticorruption dans le cadre des fusions-acquisitions, janvier 2020.
[9] Cass. Com., 20 novembre 2019, n° 18-12.817 : Dans cet arrêt, la Cour de cassation a approuvé l’arrêt de la Cour d’appel de Paris, selon lequel, « compte tenu des règles fixées par le programme de ‘compliance’ et de l’accord conclu, le manquement de l’[Agent Commercial] à ses obligations contractuelles, en ce qu’il était susceptible d’engager la propre responsabilité de la [Société], était suffisamment grave pour justifier la rupture de la relation commerciale sans préavis ».
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