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Il y a 40 ans, la France abolissait la peine de mort après des débats passionnants au Sénat

Voici 40 ans, en 1981, le Sénat abolissait la peine de mort. Noëlle Lenoir s'est replongée dans les débats de l'époque alors qu'elle assistait les rapporteurs du projet de loi d'abolition. Ils sont historiques autant qu'émouvants et soulignent le rôle essentiel de la représentation nationale.

Le Sénat, « Chambre de réflexion de notre République avancée ».

C’est à travers cette expression flatteuse pour la Chambre haute que Michel Dreyfus-Schmidt, sénateur socialiste du territoire de Belfort, s'efforçait en 1981 de convaincre ses collègues de voter l’abolition de la peine de mort. Les débats en Commission des Lois, puis en séance publique les 28, 29 et 30 septembre 1981 furent en effet de très haute tenue. J’ai eu le privilège comme administrateur du Sénat chargée d’épauler le rapporteur du projet de loi tant en Commission qu’en séance publique, d’assister à des échanges passionnants entre sénateurs et Robert Badinter, alors Garde des Sceaux. Avant de participer à l’émission de "Public Sénat" animée par Matthieu Croissandeau pour les 40 ans de cette réforme historique, je me suis replongée dans l’atmosphère de l’époque. Avec le recul, je mesure mieux le rôle qu’a joué la représentation nationale, en particulier au Sénat, pour nous faire franchir cette étape historique.

L’abandon de la peine capitale aurait dû intervenir des années auparavant. L’usage paroxystique de la guillotine durant la Terreur révolutionnaire a entaché l’image de la France, comme il était évident que notre pays avait pris du retard par rapport à ses voisins européens qui avaient supprimé de fait ou de droit la peine de mort. Le débat au Sénat a été remarquable par sa sérénité. A l’Assemblée nationale, Robert Badinter a prononcé un discours qui a fait date. Le vote était toutefois sans surprise compte tenu de la majorité acquise au nouveau Président de la République, François Mitterrand. En revanche, l’issue du vote était incertaine au Sénat devenu chambre d’opposition.

L’abolition de la peine de mort dans le contexte de la première alternance de la 5ème République

Rappelons-nous l’électrochoc que constitua pour certains la première alternance de la 5ème République avec un Président socialiste et l’arrivée au pouvoir de quatre ministres communistes. Le programme d’action de la nouvelle majorité – les 110 propositions – avait une forte connotation sociale (abaissement de l’âge de la retraite à 60 ans pour les hommes et 55 ans pour les femmes, nationalisations etc.) et une charge symbolique non moins forte, notamment avec l’engagement pris d’abolir la peine de mort

Le vote à une majorité écrasante de l’Assemblée nationale

Le projet de loi visait simplement à remplacer dans les textes pénaux les mots « peine de mort » par « réclusion à perpétuité » ou « détention à perpétuité » (pour les crimes à mobile politique).

L’Assemblée nationale adoptait la loi par 369 voix pour, 113 étant contre. Parmi les 16 députés sur les 88 du groupe RPR ayant voté l’abolition, on pouvait compter, outre Jacques Chirac ex. candidat aux élections présidentielles de 1981, la jeune garde des « rénovateurs » incluant Michel Barnier, François Fillon, Etienne Pinte, Philippe Seguin, Jacques Toubon etc. Un groupe d’abolitionnistes s’était de même constitué chez les centristes autour de François Bayrou. L’abolition de la peine de mort a donc été concomitante de l’apparition d’une relève générationnelle à la droite de l’échiquier politique.

Les débats en Commission des lois et la solution du vote de conscience


Au Sénat, deux rapporteurs se sont succédés. Ce fut d’abord Edgar Tailhades, sénateur socialiste du Gard, pour qui j’ai travaillé plusieurs années à la Commission des lois où il occupait le poste de rapporteur pour avis du budget de la Justice. Sa désignation comme rapporteur du projet d’abolition de la peine de mort n’est pas le fruit du hasard. Avocat, très bon pénaliste, grand orateur, proche de François Mitterrand, il était étranger à tout sectarisme. Il devait donc pouvoir rallier une majorité en faveur de l’abolition. Aucun sénateur du reste ne proposait le maintien du statu quo. Edgar Faure, le plus engagé pour la peine capitale, proposait de la limiter à des cas extrêmes. Pour Edgar Tailhades, la question était de « savoir si le droit de punir va jusqu’au droit de tuer » et la réponse était non.

Mais l’abolition pure et simple n’était pas une option pour tous les sénateurs. D’aucuns songeaient aux sondages d'opinion et aux 62% de Français hostiles à l’abolition. D’autres pensaient aux parents des victimes de crimes atroces venus récemment les voir. D’autres étaient convaincus de l’exemplarité de la peine capitale ou mettaient en avant le fait que le Président de la République ayant annoncé qu’il gracierait tous les condamnés à mort, il n’y avait pas urgence à voter la loi.

L’abolition rejetée en Commission, le débat s’est concentré sur l’amendement d’Etienne Dailly et de Jacques Larché tendant à hisser le texte gouvernemental au niveau de la Constitution, ce qui revenait à en repousser sine die l’adoption. Désavoué, le rapporteur n’avait d’autre choix que de rendre son rapport, et l’amendement Dailly/Larché a été adopté. J’ai été émue par l'humilité du nouveau rapporteur désigné, Paul Girod, sénateur de centre droit : « je crains de ne pas être à la hauteur… » avait-il dit. Il l'a été en portant de bout en bout, avec succès, la solution du vote de conscience indépendant de toute consigne de parti.

Les débats en séance publique et l’implication personnelle de nombreux sénateurs

Rien ne laissait penser à l’ouverture de la séance publique que la balance pourrait pencher d’un côté ou de l’autre. Les opinions et les sensibilités étaient partagées, et d'ailleurs parfois les prises de position étaient à front renversé. Par exemple, Edgar Faure, partisan de la peine de mort, avait comme Procureur général adjoint au tribunal de Nuremberg plutôt œuvré pour éviter la condamnation à mort des accusés. Henri Caillavet, résistant de la première heure, disciple de Vladimir Jankélévitch et de pensée très libérale, plaidait pour la reconnaissance d’un « droit de nécessité », i.e. en certaines circonstances du droit de donner la mort.

Mais ce qui a frappé dans ce débat, c’est l’implication personnelle des sénateurs qui y ont pris part. Appartenant à la génération de l’après-guerre, plusieurs d’entre eux s’étaient illustrés dans la résistance : Etienne Dailly, alors dans la division Leclerc, avait dû tuer un jeune soldat allemand, Marcel Rudloff avait fait partie d’un peloton d’exécution à la Libération, Guy Petit avait été témoin d’une exécution capitale comme étudiant en droit, Michel Caldaguès était venu assister à la condamnation d’un écrivain, vraisemblablement Robert Brasillach…

Forts de ces expériences douloureuses, ce sont des hommes de bonne volonté qui ont voté en conscience: 161 pour l’abolition et 126 contre, ce sont des hommes qui ont ouvert leur conscience, et une seule et unique femme, Cécile Goldet, sénateur socialiste de Paris est intervenue dans les débats ! A tous, ce billet rend hommage.