blog

L-AFA-publie-son-guide-relatif-aux-cadeaux-et-invitations-dont-la-tonalite-revele-un-souci-de-rigueur-mais-aussi-de-pragmatisme L-AFA-publie-son-guide-relatif-aux-cadeaux-et-invitations-dont-la-tonalite-revele-un-souci-de-rigueur-mais-aussi-de-pragmatisme

L’AFA publie son guide relatif aux cadeaux et invitations dont la tonalité révèle un souci de rigueur, mais aussi de pragmatisme

Un an après avoir soumis son projet de guide « Cadeaux et Invitations » à consultation publique, l’Agence Française Anticorruption (« AFA ») publie le 11 septembre 2020, ce guide intitulé « La politique cadeaux et invitations dans les entreprises, les EPIC, les associations et les fondations ».

Alors que la pandémie du Covid-19 impacte particulièrement durement les acteurs de l’événementiel dans les domaines sportifs et culturels, l’AFA s’aligne sur ses homologues américains[1] et anglais[2] dont les guides et recommandations datent de près de dix ans. Il n’est pas anodin de noter que l’AFA a pris le soin de rappeler que le guide « est dépourvu de toute portée juridiquement contraignante ». Cette précision est d’importance compte tenu de la jurisprudence du Conseil d’Etat suivant laquelle des recommandations émises par une autorité administrative indépendante peuvent « faire grief », c’est-à-dire revêtir une valeur juridique qui n’est pas qu’indicative[3]. La question peut se poser de l'application de cette jurisprudence à l'AFA qui est une agence rattachée au secrétariat général du ministère des Finances. Toutefois, que ses recommandations puissent avoir une valeur juridique contraignante ou simplement indicative n'a pas un impact décisif, dès lors qu'on peut penser que l'AFA considèrera comme manquement toute pratique ne correspondant pas à ses recommandations formulées de façon impérative. Il faut donc déduire de la précision apportée par l'AFA du caractère non contraignant des préconisations de son guide sur les cadeaux et hospitalités qu’une entreprise qui ne les suivrait pas à la lettre ne commettrait pas nécessairement un manquement sanctionnable. Cet élément de flexibilité est à saluer. 

Un projet initial qui avait suscité de justes inquiétudes 

Le projet de guide soumis à consultation publique avait suscité en effet de la part des acteurs de l'évènementiel des inquiétudes dans la mesure où il ne tenait pas compte de leur modèle économique fondé sur des programmes d’hospitalité et des contrats de sponsoring que ce soit pour l’organisation de matchs sportifs comme de soirées d’opéra par exemple. La France s’enorgueillit à juste titre de sa culture et des manifestations auxquelles la valorisation de celle-ci donne lieu, comme de ses équipes sportives de renommée internationale. La culture au sens large est un élément incontournable d’identité nationale. Les invitations à des évènements sont à la fois une source d’attractivité du pays et de convivialité dans le cadre des relations d’affaires. Cette optique n’était pas reflétée dans le projet initial de guide qui comportait nombre d’interdits et dont la connotation apparaissait plus répressive que préventive. Ce dont témoignait le fait que les premières pages du projet de guide étaient consacrées à l’énumération des diverses sanctions pénales encourues pour corruption. 

Par exemple, les invitations à des événements durant le week-end étaient décommandées alors qu’il est courant qu’une délégation étrangère en visite officielle ou en voyage d’affaires soit invitée précisément à des évènements culturels ou sportifs en fin de semaine. Seuls étaient admis « les cadeaux de valeur nominale c’est-à-dire suffisamment faible pour ne pas être perçue comme une tentative de corruption (boîte de chocolats, fourniture de bureau portant le logo de l’organisation) », à l’exclusion par conséquent de la plupart des évènements culturels ou sportifs. 

Un guide dont la tonalité est équilibrée 

Sur le modèle des recommandations des autorités judiciaires américaines[4] et britanniques[5] sur les cadeaux et hospitalités, l’AFA publie un guide dont la tonalité est sensiblement différente du projet initial. Il ne s’agit plus de stigmatiser a priori des pratiques, mais de tenir compte des nécessités des relations d’affaires qui comportent un volet d’hospitalité. Ainsi, à l’instar du Département de la Justice américainDOJ ») et du ministère de la Justice britannique, l’AFA constate d’emblée que les cadeaux et invitations « sont des actes ordinaires de la vie des affaires et ne constituent pas, en tant que tels un acte de corruption ». 

Consacrant un encadré à la pratique des hospitalités sportives et culturelles définies comme « un ensemble de prestations proposées à l’occasion d’un événement sportif ou culturel », l’AFA souligne la place centrale de ces services dans le modèle économique des deux secteurs, tout en reconnaissant que « la très grande majorité des cadeaux et invitations ne traduit pas l’existence d’actes de corruption car ils sont offerts ou acceptés par courtoisie ou à titre commercial ». 

Un guide qui insiste sur la gestion des risques et la formation du personnel 

Fort justement, l’AFA insiste sur l’impératif d’une claire identification des risques et la nécessité, selon le business model de l’entreprise et les pays où elle opère, d’exemplariser les pratiques conformes et celles qui ne le seraient pas : « l’organisation identifie et évalue le risque de corruption que représentent pour elles les offres, sollicitations ou acceptations de cadeaux et invitations au regard notamment de ses activités, de son implantation géographique et des processus ou fonctions à risque. La politique cadeaux et invitations est déterminée en cohérence avec cette cartographie et constitue ainsi, pour l’organisation, un instrument de maîtrise du risque de corruption identifié ». 

De façon pragmatique, elle indique que les règles internes à chaque entreprise en matière de cadeaux et hospitalités peuvent varier dans l’un et l’autre cas. Un agenda même de luxe avec le logo de l’entreprise ne donne pas lieu à la même appréhension du risque qu’un cadeau tel qu’un bibelot emblématique d’un manufacturier français. De plus, « des règles spécifiques peuvent être définies pour les hospitalités sportives et culturelles » dont les tarifs peuvent sembler relativement élevés. 

Dès lors qu’il est naturellement exclu d’accepter des cadeaux luxueux, l’AFA met en exergue le caractère indispensable de la formation du personnel : « pour les collaborateurs exerçant leur activité à l’étranger, lorsque la politique cadeaux et invitations est en contradiction avec certains usages locaux, la formation peut préconiser des comportements particuliers à adopter pour ne pas offenser l’autre partie ». La gestion des risques de corruption à tous les niveaux d’une entreprise renforce considérablement en effet l’importance de la formation et donc les responsabilités des directions du personnel à côté des responsables de la conformité. 

La gestion de ces risques a une dimension globale de sorte qu’elle exige d’éviter toute organisation de la gouvernance de l’entreprise en silos. Comme le souligne l’AFA, la politique cadeaux et invitations doit s’articuler avec le code de conduite et les autres procédures internes à l’entreprise notamment celles relatives au mécénat et au sponsoring. Qui dit gestion des risques, dit aussi contrôle. Aussi les préconisations de l’AFA en matière de contrôle interne sont-elles valables pour tous les risques de corruption, et non pas seulement ceux liés aux cadeaux et hospitalités dans les relations d’affaires. Sont notamment impliqués dans la gestion de ces risques les responsables hiérarchiques de chaque unité opérationnelle, mais aussi la comptabilité, le contrôle de deuxième niveau et l’audit interne, et non pas seulement la conformité et le juridique dont le rôle conjoint est néanmoins le plus crucial. 

Il appartient par ailleurs et en tout état de cause à chaque entreprise d’assurer la traçabilité des cadeaux et hospitalités offerts ou acceptés et de sanctionner les écarts inadmissibles. 

La technique du faisceau d’indices pour déterminer ce qu’il est possible de faire en matière de cadeaux et invitations 

Finalement, l’AFA a opportunément renoncé à préconiser la prise en compte d’un plafond de dépense, pour adopter de façon plus réaliste la technique du faisceau d’indices. C’est une bonne technique qui permet d’adapter la réponse adéquate à apporter à chaque situation concrète. L’AFA la rattache à une méthodologie du juge pénal, mais elle vaut aussi dans bien d’autres domaines du droit administratif et du droit social. L’AFA relève que « Lorsqu’il est saisi, le juge pénal se fonde sur un faisceau d’indices pour rechercher si l’offre ou l’acceptation du cadeau ou de l’invitation en cause peut caractériser un acte de corruption. Il examine notamment la finalité du cadeau ou de l’invitation, sa valeur, sa fréquence. Ces indices sont autant d’éléments de fond que l’organisation peut prendre en compte pour définir sa politique de cadeaux et invitations »[6]. Dans le faisceau d’indices, il convient entre autres de prendre en considération la valeur du cadeau ou de l’invitation ainsi que leur fréquence lorsqu’ils proviennent d’une même personne et le timing (il est exclu d’accepter un cadeau d’un potentiel fournisseur soumissionnaire à un appel d’offres).

La volonté de l’AFA d’accompagner les entreprises, plutôt que de les soupçonner a priori de mauvaises intentions marque un tournant. Elle transparaît à plusieurs endroits du guide, notamment lorsqu’il est noté que « les cadeaux ou invitations qui sont justifiés par un motif professionnel en lien avec l’activité du bénéficiaire ou qui s’inscrivent dans le cadre d’une politique de l’organisation, par exemple de relations publiques, permettant d’objectiver les raisons pour lesquelles ils sont offerts ou acceptés, constituent des situations à faible risque ». 

En conclusion, que peut-on retenir de ce guide qui vient à point nommé ?

D’une part, l’AFA après trois ans d’existence, prend conscience qu’elle est avant tout chargée d’un rôle de conseil et d’accompagnement des entreprises dans leur démarche éthique, la répression des manquements ne venant que sanctionner l’échec de cette démarche.
D’autre part, les entreprises se voient heureusement reconnaître la latitude de façonner leurs politiques de conformité en fonction de leur business model, sous réserve de mettre en place un dispositif d’appréhension des risques efficace et susceptible d’être bien compris et intégré par le personnel dans ses pratiques.
Enfin, il ressort du guide que chaque membre du personnel de l’entreprise doit se sentir garant à son niveau et dans le cadre de ses fonctions de la gestion des risques anti-corruption ; ce qui implique d’éviter toutes dérives bureaucratiques de nature à rendre les règles de contrôle inapplicables ou mal comprises, ce qui s’avère être le principal écueil des politiques de conformité. 



[1] Department of Justice, A resource guide to the U.S. Foreign Corrupt Practices Act, DOJ and SEC, 14 novembre 2012. 

[2] Ministère de la Justice britannique, The Bribery Act 2010: Guidance about procedures which relevant to commercial organisations can put into place to prevent persons associated with them from bribing, 30 mars 2011 ; SFO, Q&A: https://www.sfo.gov.uk/publications/guidance-policy-and-protocols/bribery-act-guidance/. 

[3] Conseil d’Etat, 21 mars 2016, n° 368082 et n° 390023 (Par ces décisions, le Conseil d’Etat a jugé recevables des recours pour excès de pouvoir dirigés contre des actes de droit souple (un communiqué de presse de l’Autorité des marchés financiers et une prise de position adoptée par l’Autorité de la concurrence)). 

[4] Guide du DOJ, précité, p. 16 : « the FCPA does not prohibit gift-giving. Rather, just like its domestic bribery counterparts, the FCPA prohibits the payments of bribes, including those disguised as gifts ». 

[5] Guide du ministère de la Justice britannique, précité, p. 12 : « Bona fide hospitality and promotional, or other business expenditure which seeks to improve the image of a commercial organisation, better to present products and services, or establish cordial relations, is recognised as an established and important part of doing business and it is not the intention of the Act to criminalise such behavior ». 

[6] p. 5.