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Le secret bancaire à l'épreuve du droit de la preuve

Dans un arrêt du 12 octobre 2021, la Cour d’appel de Toulouse s’est attachée à concilier secret bancaire et droit à la preuve en se fondant sur le test de proportionnalité, tel que défini par la jurisprudence de la Cour de cassation.

Le secret bancaire : une obligation pesant sur les banques dans l’intérêt de la protection des clients 

Le secret bancaire, consacré à l’article L. 511-33 du code monétaire financier, n’a pas été institué au bénéfice des banques, mais dans un but de protection de leurs clients. La banque est « le confident » de ses clients dont elle peut suivre l’évolution des revenus et dépenses, les transactions, les placements, les liens financiers avec des tiers etc., toutes informations qui touchent à la vie privée au sens large, i.e. incluant vie familiale et activités professionnelles.

Dès lors que le secret bancaire contribue au bon fonctionnement du système bancaire, la question de sa conciliation avec le droit à la preuve se pose.

De l’empêchement légitime au « balancing test » : l’intérêt de la protection du secret vs/ l’intérêt de l'accès aux preuves

Le secret bancaire a longtemps été considéré comme un « empêchement légitime » à la production des preuves, notamment lorsque la banque était tiers au procès. En effet, l’article 11 du code de procédure civile prévoit que le juge peut enjoindre au besoin sous astreinte la production de documents détenus par des tiers pour autant que « il n'existe pas d'empêchement légitime »[1], ce qui était le cas du secret bancaire[2].

L’« empêchement légitime » valait également lorsque « l'établissement financier est partie à un procès, dès lors que son contradicteur n'est pas le bénéficiaire du secret auquel le client n'a pas lui-même renoncé »[3].

Mais la jurisprudence a changé. En 2017, la Cour de cassation, au titre de l’article 145 du code de procédure civile (CPC), a estimé que le secret bancaire n'était plus un empêchement légitime lorsque l’établissement bancaire « est partie au procès intenté contre lui en vue de rechercher son éventuelle responsabilité dans la réalisation de l'opération contestée »[4].

A l’empêchement légitime a succédé le balancing test. Deux arrêts de principe de la Cour de cassation de 2018[5] et de 2019[6] fixent les termes de ce test qui doit s’effectuer en deux temps. Avant de faire droit à une demande de production d’un document couvert par le secret bancaire, le juge doit vérifier d’abord, si l’information est « indispensable » (et non pas seulement « nécessaire ») à l’exercice du droit à la preuve et veiller ensuite à ce que la production de l’information soit « proportionnée aux intérêts antinomiques en présence ».

L’arrêt du 12 octobre 2021 de la Cour d’appel de Toulouse à l’aune du « balancing test »

A l’instar de nombreux arrêts de cours d’appel, celui du 12 octobre 2021 de la Cour d’appel de Toulouse[7] met en application cette méthode : les plaignants, associés de différentes SCI, mettaient en doute la gestion de la société de gestion des immeubles en possession de ces SCI ; ils avaient sollicité au titre de l’article 145 CPC des données bancaires et comptables et la désignation d’un expert pour les analyser et vérifier leurs soupçons de blanchiment d’argent et défaillances comptables des sociétés tout autant que de manquements par les banques à leur obligation de vigilance.

La Cour rappelle dans la ligne de la jurisprudence susvisée de la Cour de cassation que pour être « légalement admissibles », les mesures d’instruction, telles que la production de preuves, ne doivent « comporter aucune atteinte à une liberté fondamentale ou à un secret protégé sous réserve d’un contrôle de proportionnalité permettant de vérifier si la mesure ordonnée est indispensable à l’exercice du droit à la preuve du requérant et proportionnée aux intérêts antinomiques en présence ».

Premièrement, la Cour souligne la nécessité de prendre en compte le secret bancaire, soulignant que « le pouvoir du juge civil d’ordonner à une partie ou à un tiers de produire tout document qu’il estime utile à la manifestation de la vérité, est limité par l’existence d’un motif légitime tenant notamment au secret professionnel ».

Puis, dans le cadre de son contrôle de proportionnalité, elle refuse l’accès aux comptes bancaires et sociaux et à l’ensemble des documents comptables des sociétés intimées sur une période de 10 ans, demandé par les plaignants. En revanche, elle énumère de façon très précise les documents dont elle estime qu’ils ont droit à la communication, notamment des documents permettant d’identifier les émetteurs et bénéficiaires de deux virements « inexpliqués » et des documents sur les statuts et la tenue des assemblées générales des sociétés intimées sur une période limitée.

En guise de conclusion : si le secret bancaire n’a pas un caractère absolu et doit éventuellement céder le pas face au droit à la preuve, c’est sous réserve que la demande des plaignants satisfasse au test de nécessité et de proportionnalité ainsi qu’exigé par la Cour de cassation.

Non, le secret bancaire n’a pas disparu, et c’est bien ainsi.



[1] Cour de cassation, chambre commerciale, 13 novembre 2003, n° 00-19.57.
[2] Voir notamment Cour de cassation, chambre commerciale, du 25 janvier 2005, n° 03-14.693 ; Cour de cassation, chambre commerciale, 10 février 2015, n° 13-14.779.
[3] Cour de cassation, chambre commerciale, 10 février 2015, n° 13-14.779.
[4] Cour de cassation, chambre commerciale, 29 novembre 2017, n° 16-22.060.
[5] Cour de cassation, chambre commerciale, 24 mai 2018, n° 17-27.969.
[6] Cour de cassation, chambre commerciale, 15 mai 2019, n° 18-10.491.
[7] Req. n° 20/03050.