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ARTICLE : Business et droits de l’homme, un nouveau chapitre de la judiciarisation de la vie des affaires

La montée en puissance de l’éthique des affaires conduit à une amplification du risque « pays »

Pendant longtemps, les dirigeants d’entreprises ont pu faire valoir qu’ils se tenaient à distance de la politique n’ayant pas à interférer dans la politique des Etats où leurs entreprises étaient actives. Ce ne peut plus être le cas. Depuis ces dernières années, des entreprises occidentales en nombre croissant sont pourchassées en justice par des ressortissants de ces Etats alléguant être victimes d’exactions de la part de sociétés locales, filiales ou fournisseurs du groupe ainsi attaqué, voire même de sévices de la part de leur gouvernement. Les Organisations Non Gouvernementales (ONG) se joignent souvent à ces actions en dommages intérêts pour appuyer les requérants y compris financièrement.

La judiciarisation de l’éthique des affaires est encouragée par la loi française sur le devoir de vigilance

L’éthique des affaires s’empare ainsi des tribunaux comme jamais dans l’histoire. La multiplication des actions en responsabilité civile contre des groupes notamment français pour atteintes aux droits de l’homme dans les Etats étrangers où ils opèrent est un véritable défi dans la conduite des activités commerciales au plan international. Peut-on rendre responsable une entreprise de faits qu’elles n’a pas commis ? Le législateur français a répondu positivement en adoptant la loi du 27 mars 2017 sur le devoir de vigilance.

Certes, ce devoir n’est logiquement qu’une obligation de moyens. Par ailleurs, la responsabilité des entreprises pour manquement à la vigilance au motif qu’elles n’auraient pas suffisamment veiller à éviter des agissements répréhensibles de la part non seulement de leurs filiales, mais aussi de leurs fournisseurs et sous-traitants, doit répondre aux critères habituels des articles 1240 et 1241 du code civil : une faute, un préjudice direct et certain et un lien de causalité entre les deux. Ces critères n’empêchent pas les requérants de multiplier les contentieux et de leur donner une publicité qui, même si les recours n’aboutissent pas, sont en tout état de cause dommageables pour l’entreprise concernée. Plusieurs d’entre elles, notamment au Canada, se sont du reste faites rachetées par des actionnaires chinois.

Les Principes directeurs ONU et OCDE de 2011 ont posé les bases de l’implication des entreprises dans la protection des droits de l’homme au niveau mondial

Tout a commencé par des textes de soft law issus d’organisations intergouvernementales pour sensibiliser les multinationales à leur responsabilité au niveau mondial. Plus question de fermer les yeux sur les pratiques sociales, environnementales et en termes de libertés publiques dans les pays où elles ont des implantations, voire d’où elles se fournissent en biens et services utiles à leurs activités. Les Etats parties à l’ONU se sont engagés en ratifiant les Pactes de 1966 (ou l’un ou l’autre) à protéger les droits de l’homme. Mais cela n’a pas suffi. Aussi les Principes directeurs de l’ONU relatifs aux entreprises et aux droits de l’homme ajoutent à ce premier pilier deux autres piliers : (i) la responsabilité des entreprises de respecter les droits de l’homme et (ii) l’accès à des recours pour les victimes d’abus liés aux entreprises. Ces Principes dits de Ruggie, du nom de celui qui les inspirés, sont l’aboutissement de travaux qui ont duré des décennies. Ils se concrétisent par l’obligation pour les grandes entreprises de réaliser des due diligence sur leurs partenaires économiques, ce qui ne va pas de soi, mais est maintenant acquis.

Le parti pris de l’OCDE, qui a repris des principes analogues dans ses Principes directeurs pour les entreprises multinationales, n’a pas été celui de la judiciarisation, mais celui de la conciliation à travers les « Points de Contact Nationaux » (PCN). Les PCN ont pour mission, outre la promotion des principes, de contribuer à la résolution des conflits entre l’entreprise visée et les parties mettant en cause sa responsabilité. Bien que le bilan des PCN soit globalement positif, cette modalité de dialogue et de compromis n’a pas pu satisfaire les plaignants cherchant, à travers la publicité donnée à leur action, le name and shame qui en est le corollaire. Dans l’ensemble, les ONG qui avaient souscrit aux Principes directeurs de l’ONU et de l’OCDE ont estimé qu’il fallait passer de la soft law à la hard law, c’est-à-dire au contentieux et à la loi.

La jurisprudence sur le duty of care des pays de common law rejoint l’inspiration de la loi française sur le devoir de vigilance de 2017

Avant même l’adoption de la loi de 2017, les juridictions de pays de common law ont commencé voici une dizaine d’années à être saisies d’actions responsabilité civile pour négligence de certaines de leurs entreprises en matière de droits de l’homme. Dans le cadre de ces contentieux, l’entreprise est incriminée pour manquement à son duty of care pour n’avoir pas pris les mesures qui s’imposaient pour prévenir des atteintes aux droits de l’homme (travail des salariés de ses fournisseurs dans des conditions indignes, atteinte aux droits des populations locales, pollutions majeures etc.). Originellement destiné à permettre à des actionnaires de mettre en cause l’action des dirigeants/administrateurs de l’entreprise pour des choix d’investissement malheureux, le duty of care devient ainsi un levier pour obliger les entreprises à rendre des comptes sur les agissements de leurs filiales et de leurs fournisseurs, voire même dans certains cas de la police locale lors d’interventions ayant donné lieu à un usage disproportionnée de la force. Sauf participation directe d’une entreprise ou de sa filiale aux agissements répréhensibles, les juges n’ont pas fait droit à ces demandes en raison de l’absence de proximité entre le groupe et les plaignants et faute de lien direct entre le groupe et les agissements en question. Parfois, des transactions entre parties ont mis fin à la procédure.

La loi française, qui donne lieu à un nombre croissant de contentieux, sur des allégations d’atteintes aux droits sociaux, humains et environnementaux, va être l’occasion de définir clairement les contours d’une responsabilité universelle des entreprises; une responsabilité que l'Union s'apprête à consacrer sur la base d'une proposition directive déposée par la Commission européenne le 22 février dernier.

Donner accès au prétoire de nos pays à des victimes qui ne peuvent faire valoir leurs droits devant leurs propres juridictions pour des raisons financières et surtout politiques, est parfaitement louable. Toutefois, le but de ces contentieux et de cette législation ne doit pas être perdu de vue. La responsabilité des entreprises ne peut se substituer à celle des gouvernements des Etats les moins respectueux des droits de l’homme. C'est un risque. Si c'était le cas, la responsabilisation des entreprises aurait manqué son but qui est le progrès social et humain pour tous à l’échelle planétaire.