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La taxonomie, invention européenne pour accélérer la lutte contre le changement climatique

Décidément en pointe dans la lutte contre le changement climatique, l’Union européenne (UE) a adopté un règlement sur la « taxonomie » dont l’objet est de faire pression sur les entreprises pour les contraindre à accélérer leur transition énergétique.

La taxonomie vise à réorienter les flux de capitaux privés vers des activités « durables »

Le règlement du 18 juin 2020[1] tend en effet à établir des critères permettant de mesurer le degré de « durabilité environnementale » des activités d’une entreprise. Il s’agit de guider les investisseurs – banques, fonds et autres - dans leurs choix de financement via « un système de classification unifié des activités durables » pour réorienter les flux de capitaux privés vers ces activités[2]. Les Etats sont censés se doter par ailleurs de mécanismes de « label » pour promouvoir les produits financiers « durables » en fonction de la « durabilité » des investissements sous-jacents auxdits produits.

Le but est aussi de lutter contre l’éco-blanchiment, soit « la pratique qui consiste à commercialiser un produit financier comme étant respectueux de l’environnement afin d’obtenir un avantage concurrentiel indu alors qu’en réalité, les normes environnementales de base n’ont pas été respectées ».

La taxonomie accroît les obligations de transparence des entreprises et de leurs financeurs privés

Du côté des entreprises, le règlement renforce notablement les obligations de transparence financières et non financières liées à la Déclaration de Performance Extra-Financière (DPEF) que la proposition de directive de la Commission européenne (CE) du 21 avril 2021 élargit du reste très sensiblement[3]. C’est à travers les informations publiées par les entreprises que seront appréhendées leurs activités « durables » sur la base des critères du règlement. Du côté des investisseurs, est imposée la publication d’informations relatives à l’objectif environnemental poursuivi et à la façon dont chacun de leurs produits financiers contribue à des investissements « durables ».

Le règlement « taxonomie » est d’une portée et d’une technicité sans précédent

Toutefois, de nos jours, une législation européenne ne se suffit pas à elle-même. En général – et c’est le cas du règlement « taxonomie » - la Commission se voit déléguer le pouvoir de prendre des actes « non législatifs de portée générale qui complètent ou modifient certains éléments non essentiels de l’acte législatif »[4]. En l’occurrence, la Commission s’est vue attribuer compétence pour définir, pour différentes activités économiques, les critères techniques déterminant si elles apportent une « contribution essentielle » ou au contraire causent « un préjudice important » aux objectifs environnementaux.

Le premier acte délégué, adopté en juin 2021, comporte pas moins de 527 pages. Il précise le profil « durable » de chaque activité, d’après les émissions de gaz à effet de serre (GES) générées tout au long du cycle de vie des produits sur la base de critères déterminant le niveau de participation de l’activité à l’atténuation du changement climatique. Un deuxième acte délégué est programmé pour 2022.

Le groupe d’experts européens dit « Plateforme pour la finance durable » a fait des propositions

En mars 2021, le groupe d’experts de haut niveau de la Commission européenne – dit Plateforme européenne sur la finance durable - a remis un rapport[5] contenant des propositions. Par exemple, la Plateforme souligne la nécessité de veiller à la cohérence des obligations de reporting financier et extra-financier prévues par différentes directives auxquelles s’ajoute le règlement taxonomie. Elle veut aussi encourager les entreprises à publier leurs stratégies en matière de transition énergétique. Pour éviter d’assécher toutes sources de financement au détriment des activités qui ne remplissent pas les critères de la taxonomie, ils préconisent de permettre aux entreprises concernées de faire état d’investissements « durables » programmés pour le futur. Il est également proposé d’élargir le champ de la taxonomie aux activités non durables, voire préjudiciant à l’environnement. Autant dire un cadre juridique couvrant tout le spectre des activités industrielles, voire agricoles et forestières.

Jamais dans l’histoire de l’Europe, une règlementation n’avait eu une telle portée dans un domaine aussi technique et scientifique. Même le règlement REACH[6] destiné à identifier les substances chimiques à risque pour la santé et l’environnement et obligeant les entreprises à démontrer que ces risques sont maîtrisés, est d’une portée moindre.

Il faut éviter les écueils de l’hyperréglementation

Le volontarisme de l’Union européenne en matière climatique est à saluer.

Toutefois, l’hyperréglementation a ses revers :
- Elle s’accompagne nécessairement de rigidités, ici dans la catégorisation des « bonnes », « moins bonnes » et « mauvaises » activités du point de vue du réchauffement climatique.
- Le « name and shame » risque d’entraver les efforts des entreprises qui, souhaitant investir dans la transition énergétique, seraient privées de financements pour ce faire.
- Le système des « labels » n’est pas la panacée et demande à tout le moins un contrôle strict sur les sociétés de certification et de notations.

Pour conclure, si l’un des buts fondateurs de l’Union européenne est bien la création d’une puissance économique, et donc politique, promue par le marché, la taxonomie ne peut se concevoir sans une réflexion sur le « level playing field ». Or rien n’est apparemment prévu pour que les investisseurs continuent d’investir dans nos entreprises en Europe au lieu de se tourner vers l’étranger où une règlementation « taxonomie » ne s’applique pas.




[1] Règlement 2020/852 sur l’établissement d’un cadre visant à favoriser les investissements durables.
[2] Les six objectifs environnementaux couverts sont : l’atténuation du changement climatique; l’adaptation au changement climatique; l’utilisation durable et la protection des ressources aquatiques et marines; la transition vers une économie circulaire; la prévention et le contrôle de la pollution; et la protection et la restauration de la biodiversité et des écosystèmes.
[3] Proposition de directive modifiant la directive 2013/34/UE (dite directive comptable), la directive 2004/109/CE, la directive 2006/43 / CE et le règlement (UE) no 537/2014, en ce qui concerne les rapports sur le développement durable des entreprises.
[4] Article 290 du traité sur le fonctionnement de l’Union européenne (TFUE).
[5] 2021 03 -eu-platform-transition-finance-report_en.pdf
[6] Règlement 1907/2006 du 18 décembre 2006, “Registration, Evaluation and Authorization of Chemicals”.